Il n’y a pas d’âge pour être amoureux

Entretenir une relation de couple, ou trouver / retrouver l’amour, est-ce encore possible pour les personnes âgées et qu’en est-il dans notre société ?

Nous savons qu’avec l’âge, il est important d’adopter un mode de vie sain à travers la pratique d’une activité physique et intellectuelle régulières et d’une alimentation équilibrée, afin de retarder les maladies ou de maintenir son cœur et son cerveau en bonne santé. En revanche, nous oublions bien trop souvent que, peu importe l’âge, avoir une relation sentimentale solide et de qualité apporte un équilibre et un bien être.

Cependant, « dans notre monde qui expose si facilement les corps et les idylles, la vie affective, intime et sexuelle des plus âgés est encore regardée avec dégoût pour certains, suspicion pour d’autres. […] Dans tous les cas, la vision n’est guère respectueuse » (Alain VILLEZ, président des Petits Frères des Pauvres).

L’intimité des personnes âgées, les relations amoureuses qu’elles développent et les contacts qu’elles entretiennent font, en effet, régulièrement froncer les sourcils ou créent un malaise, surtout chez les plus jeunes (sont-ils vieux jeu ?). Quand le journal Le Point évoque la merveilleuse rencontre, en plein confinement, de Jean-Pierre et d’Arlette, deux résidents d’un EHPAD de Bonneuil-sur-Marne, âgés respectivement de 84 et 82 ans, tout le monde ne veut y voir que le côté tendresse et romantique, mais ferme les yeux sur la sexualité qu’elle sous-entend.

Pour l’entourage de la personne âgée, la désapprobation peut résulter de différents facteurs :

     – la pudeur : même arrivés à l’âge adulte, les enfants et petits-enfants, restent mal à l’aise à l’idée que leur parent ait une vie intime, faite de désirs et d’envies physiques.

      – la sur-protection : la peur de voir leur proche âgé souffrir, le voir exposé et rendu vulnérable par une relation amoureuse est une nouvelle préoccupation pour les aidants qui cherchent à protéger la personne âgée au quotidien. La peur qu’elle soit la cible d’un prédateur ou d’une personne mal intentionnée peut les pousser à faire barrage.

     – la jalousie : l’arrivée d’un nouveau partenaire dans la vie de leur parent, qui vient souvent prendre la place de leur père ou mère défunt, peut faire ressurgir des plaies plus ou moins récentes.

   – la peur de diviser l’héritage : certains en effet voient dans l’arrivée d’un nouveau venu, une part supplémentaire à considérer lors du partage de l’héritage de leur parent âgé. Une raison qui, malheureusement, est bien loin du romantisme de la situation.

1. La réalité et l’importance de la vie affective de nos aînés.

Il est cependant à noter que, comme a dit le physicien, mathématicien, philosophe et théologien Blaise PASCAL (1623-1662), « L’amour n’a point d’âge : il est toujours naissant », car effectivement la différence d’âge n’a jamais empêché un cœur d’aimer. Une personne au-delà de la soixantaine peut très bien continuer à aimer passionnément et d’amour son conjoint, ou avoir à nouveau une nouvelle histoire d’amour et ainsi vivre le bonheur. Un âge avancé ne justifie en rien une vie sans désir et sans envie ainsi que le fait de se priver d’une relation intime.

Cette vie-là est bien réelle, certes différente de leurs cadets, mais au moins aussi importante pour nos aînés, qu’ils vivent à domicile ou en EHPAD. L’amour est la clé de petits bonheurs au quotidien. Il garantit également une bonne hygiène de vie et cultive les activités sociales.

De plus, il est aussi à remarquer que les relations entre séniors sont parfois plus solides, principalement parce qu’avec le temps, ils ont appris à ne plus s’arrêter aux apparences. Ils recherchent plutôt des qualités de cœur et le désir de profiter de la vie à deux.

L’histoire de Jean-Noël et Marcelle est à ce sujet emblématique. Tous deux pensionnaires en EHPAD, tombés amoureux l’un de l’autre durant ces années à se côtoyer, à se cacher pour s’embrasser ou à échanger de doux regards à l’abri de leurs enfants, contre cette relation. Ils se sont mariés en cachette et ne regrettent rien. « C’est très fusionnel entre nous. Si nous n’étions pas là l’un pour l’autre, on deviendrait fous » confie Marcelle au journal Le Monde. Cette histoire peut paraitre exceptionnelle, mais elle ne l’est pas.

L’amour et l’affection dans le couple constituent assurément un élément fondamental dans la vie sentimentale de nos aînés. Selon une étude de l’Insee, la vie de couple permet de vieillir en meilleure santé et de vivre plus longtemps. Pour 39 % des seniors, les meilleurs moments passés au quotidien le sont auprès de leurs conjoints, et non pas auprès de leurs enfants (23 %), de leurs amis (15 %) ou même de leurs petits-enfants (14 %). Bien souvent, les seniors adorent faire sauter sur leurs genoux le petit dernier de la famille, mais ce n’est pas là leur seule, voire leur principale source d’épanouissement affectif.

On constate que c’est l’envie de partage du quotidien et d’activités communes mais aussi d’attentions, de tendresses, de bienveillances réciproques et d’affections que désirent les seniors. À deux, les moments vécus sont plus lumineux et plus intenses, il est donc logique de souhaiter poursuivre ou même de refaire sa vie sentimentale quel que soit son âge.

Être amoureux donne du goût et du relief à la vie, renforce l’estime de soi et peut même parfois offrir une nouvelle jeunesse !

2. La disparition de l’être aimé.

Avec la mort de l’être aimé, part un peu de notre identité et de notre vie. Reste un champ de ruines et la douleur qui se ravive encore un peu plus à chaque fois que l’on se retrouve seul, au dîner, au coucher. La tristesse atteint parfois une telle profondeur et intensité, bien au-delà de ce que l’on aurait cru possible. Le décès d’un conjoint ou d’un partenaire de vie, c’est le décès de l’amour de notre vie… La personne sur laquelle nous pouvions toujours compter pour nous soutenir physiquement et émotionnellement. C’est également la perte des contacts physiques qui étaient devenus une partie normale de sa vie quotidienne. Désormais, c’est le règne du “plus jamais” qui nourrit la douleur. Un fort isolement prends corps : le survivant s’installe dans un perpétuel passé dans lequel il a l’impression de ne plus pouvoir sortir et pense qu’il ne pourra plus jamais aimer.

Mais la vie est là et réserve heureusement de belles surprises !

3. Nos aînés célibataires ou seuls après veuvage ou divorce.

Si pour les couples l’amour est présent, avec parfois pour certains la nécessité de casser la routine et de raviver la flemme qui les unit afin de renforcer leur complicité à deux, pour d’autres faut-il le trouver…

Après le décès de leur conjoint ou une séparation mais aussi avec l’éloignement de la famille, Selon le Rapport sur l’isolement et la solitude des personnes âgées des Petits Frères ees Pauvres du 7 septembre 2022, c’est plus de 7 millions de personnes de plus de 60 ans qui vivent seules (dont une sur deux depuis au moins 10 ans). Nombreux sont donc les seniors à vouloir refaire leur vie, vivre sereinement jusqu’au bout de leur vie en partageant le temps libre de leur nouvelle vie de retraité avec quelqu’un, en affection, tendresse réciproque et complicité.

La persévérance est primordiale dans la recherche de l’amour, d’autant que l’expérience et l’âge constituent des plus-values importantes dans la connaissance de soi-même et de la vie amoureuse. Il est également essentiel de faire preuve d’audace en allant au-devant des autres, en abordant une ou un inconnu(e), en ne s’interdisant pas le plaisir de séduire afin de commencer une nouvelle vie.

Il suffit aussi d’être simplement attentif et d’ouvrir l’œil, mais il est parfois opportun de donner un coup de pouce au destin ! il y a de nombreuses opportunités de rencontrer des personnes en affinité avec ses centres d’intérêts ainsi que ses valeurs, faire connaissance et créer des liens avec de nouvelles têtes.

Il est nécessaire de rester optimiste quant à la chance de rencontrer la bonne personne !

4. La vie de couple n’est pas facilitée en établissement pour personnes âgées.

Les EHPAD sont souvent les lieux de rencontres de ces couples qui se forment au gré du temps ou qui décident de venir s’y installer ensemble : naissance de rapprochements, des gestes de tendresse, des regards complices, des baisers furtifs. L’amour y existe, mais les couples dorment séparément et leur vie est différente mais elle se joue encore main dans la main.

Cependant, au sein des EHPAD ou en maison de retraite le sujet suscite encore au mieux de la gêne, au pire du déni.

La vie affective et la sexualité des personnes âgées sont encore très souvent traitées comme une problématique dans les établissements pour personnes âgées. En effet, ces structures sont en général des lieux conçus  « pour des gens seuls (petite chambre avec un seul lit, ou sans communication avec la chambre voisine, etc.). «Y être en couple devient l’exception, l’anormalité » comme le dit la psychothérapeute Marie-Hélène Colson. Le collectif y prime sur l’individuel si bien que des relations consenties entre deux résidents deviennent rapidement un sujet d’interrogations voire même de suspicions ou de problèmes et entraînent moults réunions d’équipes pour permettre de mieux appréhender des situations qui sortent des normes établies.

Les personnes âgées dépendantes manifestent souvent leur exaspération d’être infantilisées et d’être perçues comme « dépendantes » avant d’être reconnues en tant que « Sujets ». Le système d’accompagnement de la dépendance met à mal ce droit au respect de la vie privée et de l’intimité du fait de la collectivité et de la médicalisation grandissante au sein des EHPAD.

Pourtant, dans la Charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante est inscrit le droit à l’intimité dans les EHPAD.

L’article 4 précise même qu’une personne âgée « doit être protégée des actions visant à la séparer d’un tiers avec qui, de façon mutuellement consentie, elle entretient ou souhaite avoir une relation intime ». Reste encore que la vie sentimentale et la sexualité des personnes âgées laisse encore trop souvent les professionnels désemparés, surtout qu’elle est souvent source de conflits avec les proches.

Partant du principe que les résidents doivent pouvoir nouer de nouvelles relations d’amour en toute intimité, l’ANESM (agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux), aujourd’hui rattachée à la Haute Autorité de Santé, a recommandé aux établissements de réfléchir à  ce sujet en mettant par exemple à la disposition des couples des lits à deux places.

L’acceptation et la prise en compte de la vie sentimentale et sexuelle des personnes âgées en EHPAD ou Maison de retraite évoluent lentement, très lentement en fonction de la prise de conscience, de l’ouverture d’esprit et du niveau d’engagement de la direction de l’établissement.

5. La vie sexuelle des personnes âgées.

Toutes les études le prouvent, ce n’est pas parce qu’on prend de l’âge qu’on n’a plus de vie amoureuse ou de vie sexuelle, bien au contraire !

Mais le sujet est tabou, on préfère ne pas voir et ne pas en parler (ou si on en parle, c’est avec timidité ou tâtonnements), alors que la sexualité des personnes âgées est une réalité, toujours plus importante car nous vivons bien plus longtemps qu’avant et surtout en bien meilleure forme physique.

Dans une de ses chroniques dans le journal Le Monde, Madame Maïa Mazaurette l’a très bien résumé.  Pour elle, ce grand tabou qu’est la sexualité des personnes âgées s’explique en trois points. A commencer par la tradition judéo-chrétienne. « Parce que la sexualité post-ménopause échappe à la reproduction, elle devient douteuse. »

Vient ensuite l’association systématique de la jeunesse et de la désirabilité. Vieillir signifie pour beaucoup ne plus être ou ne plus se sentir désirable. Enfin, comme le dit la chroniqueuse, « on attend des personnes âgées une forme de renoncement aux plaisirs terrestres, via une sagesse qui les placerait magiquement hors d’atteinte des émotions fortes ». Si on ajoute à cela le fait qu’un enfant, quel que soit son âge, n’arrive ni à imaginer, ni à concevoir que ses parents puissent avoir une vie sexuelle, on comprend mieux alors le tabou que représente la sexualité des plus âgés et la difficulté qu’on ceux-ci à la faire accepter.

La sexualité des personnes âgées est pourtant bien effective et bénéfique pour elles.

Tout d’abord, sur le plan de la santé, de nombreuses études prouvent que l’activité sexuelle contribue à améliorer la respiration, à lutter contre le mauvais cholestérol en brûlant des calories, renforce l’immunité par la production d’immunoglobuline, améliore le sommeil, diminue le stress, augmente le rythme cardiaque, active la circulation du sang et muscle le cœur, sans compter qu’elle booste le cerveau de manière bien plus efficace que tous les mots croisés et tous les sudokus de la terre !

Plus récemment, les scientifiques ont découvert qu’en plus de ces bienfaits, la capacité cognitive des personnes âgées se trouve améliorée. Faire l’amour à 70 ans pour une femme ou pour un homme serait donc un moyen de réduire les risques d’apparition des maladies dégénératives telles que l’Alzheimer.

D’autre part, et au-delà des bienfaits pour la forme physique, la sexualité permet d’exprimer de l’affection et de la passion pour l’autre, de se prouver qu’on vit encore et que son corps fonctionne et peut encore donner du plaisir, malgré l’âge, et au final elle crée un épanouissement et un bien-être très important.

Reste la question de l’état de santé du couple, avec une incapacité physique (incapacité d’utiliser ses jambes, par exemple) et les pathologies neurodégénératives, situations que l’on retrouve dans les EHPAD. Sans s’immiscer dans l’intimité des résidents, les professionnels ont alors un difficile devoir d’analyse et de protection.

Bon pour la santé et bon pour le moral, la sexualité peut exister jusqu’au terme de la vie.

6. En conclusion.

Blaise PASCAL a donc bien raison, l’amour au-delà des questions d’âge est bien réel. Dans la mesure du possible, il ne faut jamais renoncer à la vie affective et à la vie sexuelle, quel que soit son âge.

Notre société doit aussi avoir une vision positive de la vie affective et sexuelle  de nos aînés et respecter cette dernière, en particulier en EHPAD dès lors qu’elles concernent des personnes consentantes…

 

Sources :

  • santors.fr (courtier spécialisé en assurance santé sénior et prévoyance) ;
  • Albus (l’appli des infirmiers) ;
  • penser-et-agir.fr ;
  • academie-bienvieillir.fr
  • priorite-seniors.fr (article de Myriam le 29 août 2017).
  • Cap retraite (article de Mme Elsa BLANC) ;
  • Rapport sur l’isolement et la solitude des personnes âgées des Petits Frères des Pauvres du 07 sept. 2021;
  • The sexuality and intimacy of the elderly (article n° 10/2021 de Philippe Thomas et Cyril HAZIF-THOMAS) ;

 

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